Je vais vous parler d'une fille, chapitre 7.

Publié le par B+

J’en rigolais au début, c’était à peine une phrase en l’air, une pensée soulevée d’un bout d’émotion, un brouillon de sentiment, mais même si ça peut paraître encore un peu excessif oui, je l’aime. Je sais bien que je ne la connais pas, comment la connaître elle si changeante, si imprévisible ? Je dois être bête, stupide de refuser d’admettre que l’amour n’est pas un instantané sur une plage, c’est vrai, on n’extrait pas le sel des baisers des éclats de verres polis par le ressac, mais j’ai envie d’y croire. Je n’aurais jamais calculé le toucher de nos lèvres avec autant de poésie, je me serais plutôt remué le cerveau jusqu’aux larmes de l’impossibilité à chercher l’ouverture de la seconde de l’instant où peut-être il fallait que j’essaie de tenter un geste, une avancée, un semblant de caresse vers ses yeux. Oui, ma méthode pour établir le contact charnel est plus douce qu’une série de claques, mais elle aurait été voué à l’échec, retenu de timidité. Oui, je l’aime. Il y a cette sensation étrange en moi qui me trimbale comme à l’intérieur d’un rêve alors que je suis éveillé, comme si la réalité pliait sous le poids de l’amour, comme si tout glissait vers l’envie, comme si la folie tendre qui ondulait en moi depuis tant était en train de contaminer le monde autour de moi. Hélas il ne suffisait pas de penser à elle pour qu’elle ré apparaisse, tout ce que je pouvais espérer en sautant dans un piano à queue désormais, c’était de faire du trampoline sur ses cordes, ou plus concrètement de sortir mon chéquier pour en payer les réparations. Oui, je l’aime. Si j’en parlais autour de moi je serais cerné de mines désolées et l’on me conseillerait le psychiatre de la sœur de la cousine de… Qui, « tu verras », l’a nettoyé de cette douleur enfouis qui refusait de crier hors de son ventre. Mais mon ventre à moi n’était pas hurlant, il était chatouillé de papillons, des millions d’ailes caressaient mon désir et le rendaient palpable, j’aimais cette sensation de corps qui témoignait que mon cœur ou mon esprit n’étaient pas les seuls atteints de passion,  j’étais entier vers l’amour. Oui, je l’aime. Qu’importe mon apparence, je ne serais jamais aussi beau qu’au travers d’elle. Ce n’est pas la peine d’être déguisé d’une silhouette agréable, la femme qui m’aimera vraiment ne s’embarrassera pour ça, elle m’aimera tel que je suis et si je décide de changer, je ne le ferais pas pour elle, mais pour moi. Du moins, en théorie c’est comme ça que j’aimerais que ça se passe !  Après c’est vrai que j’étais dans un laissé aller certain et que ça ne m’aurait pas fait de mal de corriger quelques… Hahaha mais suis-je bête, j’oubliais, je suis déjà corrigé ! Mais aussi étrange que cela puisse paraître, je ne me sentais pas à l’aise dans ce nouveau corps, je me sentais coupable de tricherie, je n’assumais pas.

Pendant plusieurs jours, je suis resté cloîtré chez moi à espérer un signe de Prudence. Mais il n’en fut rien. Prudence ne reviendrait pas, il fallait que je la retrouve, alors j’ai décidé de commencer là où la raison m’avait convaincu de ne pas m’embourber. Au diable la raison donc, j’ai tapoté « piano » dans plusieurs déclinaisons sur internet. Je me suis imprimé une liste de salles de concert, de magasins de piano, de professeur de piano, de pianistes, d’écoles de musiques, etc… Et je suis parti à la recherche du piano qui m’ouvrirait le chemin. Au bout d’une semaine, mon curieux petit manège d’ouvreur de piano avait lancé une rumeur qui avait lancé quelques policiers à mes trousses. N’ayant aucune explication tangible à fournir, j’ai passé quelques soirées au poste. Au bout d’un mois, les plaintes ont commencé à pleuvoir sur le bureau du commissaire et je suis passé en jugement. Verdict : j’étais condamné à ne plus pouvoir approcher un piano à moins de cent mètres sous peine d’incarcération. Peu importe à présent, en cinq semaines, j’avais ouvert plus de deux mille pianos en vain. La presse m’avait surnommé : « l’exhibitionniste à piano », ou « le pervers pianistique », j’étais devenu une célébrité locale, ma photo à la une m’assurait une levée de doigts à chacune de mes sorties. Mes amis ne m’appelaient plus, ma mère passait ses journées à pleurer de honte, les commerçants de mon quartier refusaient de me servir, j’étais devenu pire que la peste, une infection ambulante, une cible à crachats vivante, la poubelle de toute la haine du monde. Mais je l’aimais toujours. L’image de Prudence était toujours vive en moi et m’aidait à supporter tout ça dignement. Seulement maintenant, comment approcher un piano sans me faire remarquer, dénoncer et capturer ?

Jusqu’au jour ou un homme étrange vint frapper à ma porte.

-    Monsieur Jean Chuchotte ?
-    Heu… Oui.

Il ressemblait à un vampire tant son teint était blanchâtre et ses yeux injectés de sang. Il avait un long costume sombre et sa voix d’outre-tombe n’engageait pas une sympathie spontanée.

-    Je me présente, Louis Boguin, je suis le propriétaire du club 29.

Effectivement, son visage m’était familier.

-    J’aimerais vous inviter à une sorte de… Disons de soirée privée.
-    Heu… Je ne suis pas très apprécié en public ces derniers temps, vous savez.
-    Ne vous inquiétez pas pour ça, soyez assuré qu’il n’y aura que des sympathisants à votre cause.
-    Ma cause ? Je ne suis pas sur que ce soit une bonne idée.
-    Oh si croyez-moi, vous aller trouver l’idée excellente. Il n’y aura que des gens comme vous.
-    Des gens comme moi ?
-    Et naturellement…

Il s’illumina d’un sourire d’une perversité rare.

-    Naturellement nous mettrons le piano à votre disposition !

(à suivre…)


B+
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N
mince mince zut que zut toujours pas la suite alors alors qu'est ce qui se passe? alors hein?
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N
ah :D
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B
Tss tss l'impatience de la jeunesse !
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T
Grand merci!<br /> la suite...
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